Préface de Dimitri Bortnikov


Préface de Dimitri Bortnikov
(juillet 2020)

 

 

 


Ce livre – c’est une forge magique, mon ami.
Rabelais l’enclume, Montaigne le marteau!
la joie pour la faucille, le rire pour le marteau!

 

Ecce Homo

Cher ami, vous me demandez quand je vais terminer mon nouveau manuscrit. je comprends – vous êtes mon éditeur après tout… je ne sais pas quoi dire… et puis rien à dire. peut-être demain. ou jamais. au lieu d’écrire – je lis. ah oui! mais pas un livre, non, pas encore… un manuscrit. et quel manuscrit! et que c’est bon! très bon, même! à arrêter d’écrire…je vous jure! que je bande en bonsaï le reste de ma vie!

C’est un roman total sur l’homme dans sa totalité. voilà! et si on avait demandé à Rabelais de dire ce qu’il pense de ce roman – il aurait commencé ainsi: « Cher lecteur! Ivrogne fini que tu es ou sobre comme le chat du Pape – c’est plus facile de trouver un vieux pantalon dans lequel on n’a jamais pété que d’expliquer pourquoi ce livre est très bon! c’est plus aisé pour un nouveau-né d’enfiler un cheveu dans le chas d’une aiguille que de parler de ce roman… »

Me voici, un nouveau-né qui vais raccommoder son propre linceul. car même si c’est l’homme qui tient et le fil et l’aiguille, c’est la mort qui mord le fil…

Ne me demandez plus, ami, quand je vous donnerai mon nouveau pavé. mon pavé le plus gros ne sera que la liste de courses d’un SDF à côté de ce que je lis là… j’en zozote encore! même à l’écrit… c’est si bon !? je vous le dis, c’est à arrêter d’écrire! et à remercier Marie et Saint Joseph, à genoux et à quatre pattes, d’avoir appris à lire!

Mais c’est quoi?

                 C’est un TGV en cristal, ça… et il vient de l’autre côté de la littérature. de là où l’écrivain doit payer avec son corps ce que sa bouche dit. c’est un train qui roule à tout allure et nous y sommes tous… nous et nos pères et nos mères et nos enfants, et les enfants de nos enfants à naître. voilà la chose… et que tous les prophètes assermentés de ce siècle aboient – le train passe! délirant et drôle… très drôle, ami! c’est comme l’ivresse… et l’ivresse c’est un pont de nulle part à nulle part sur lequel les âmes vadrouillent, oui, de l’homme à l’homme, d’un cœur à l’autre.

C’est un voyage de 60 ans, ami! avec Montaigne, Rabelais, Bruegel, Bosch, Man Ray, et toutes les jolies femmes du siècle passé. toutes les Vénus exorbitées! dans le même train! et vous descendez de ce train bien rajeuni…

Je vous le dis – c’est une tornade qui valse. une tornade extatique qui soulève des choses… les montre. et l’esprit de l’homme se met à valser lui aussi. et le temps s’arrête, comme lorsque les anges dans leur chute ouvrent enfin leur parachute… car plus il y a de feu – plus les ténèbres autour sont – ténèbres. et c’est la mort qui souffle les bougies.

Trotsky disait à propos de Céline « Il est entré dans la grande littérature comme dans sa propre maison. » là – c’est mieux. pire! ce roman fait sortir la littérature française des 40 dernières années de son lit. et la littérature qui se croyait être chez elle – se découvre locataire en rupture de bail! la trêve hivernale est finie…et c’est toujours la mort qui tient l’immeuble.

Ce roman s’incruste en vous comme l’eau dans la roche plutonique… que peut faire l’histoire de la littérature, ventouse à la main, face à ce tsunami joyeux… une vague de vie. de joie… d’allégresse. que s’incliner, ventouse bas, l’entonnoir dans le cul!  

Ce livre entre en vous. coule. pénètre. insiste. étonne. comme étonne la joie d’un homme seul dans le désert. avez-vous vu un homme seul rire dans le désert? avant, moi non plus. mais là – j’ai vu. face aux démons, aux mirages de ce siècle – ce roman rit et fait rire.

C’est Les Mille et Une Nuits, jours, matins inclus! et ça bouge, ça fait des nœuds, votre cœur s’ouvre en vortex et vous y voyez trente mille choses… et ça vous fait voyager si vite que Guerre et Paix après – vous paraîtra aussi mobile que les quais de la gare Montparnasse.

Ce livre – c’est une forge magique, mon ami. Rabelais l’enclume, Montaigne le marteau! la joie pour la faucille, le rire pour le marteau!  

Tout y passe. tout! toutes les maladies de l’esprit du siècle précédent, du nôtre et ceux à venir! et quelles maladies…

                                                      Mensongite aigue ! naturisme délirant! à-poilisme extatique ! commémoration persistante ! troudeballisme de la foi! trouduculisme polymorphe! ridiculite chronique ! nunucheries d’avortons ! pélagrisme poétique ! alpinisme des Périnées Orientales! angélisme démoniaque! nanisme de convictions ! et toutes les maladies de l’âme ! chancre mou ! dur ! tiède ! poilu et persistant ! chaude-pisse politique ! cirrhose du cœur ! toutes les infirmités ! cul-de-jattisme de tête! manchotisme de la gauche! unijambiste de la droite! freudisme nébuleux! lacanisme vaticinante! petits vices cruciformes ! manies plates ! tics et tocs jamais vus ! fièvres de toutes sortes ! toutes les conneritudes chroniques! stalinisme! néo-proto-libéralisme! baba-yaguisme ! crottophobie  ! hoquets  idéologiques! mal au dos ! mal de mère au dodo ! hystérie crépusculaire ! priapisme littéraire! météorisme romantique ! scorbut du fion ! téléphonite persistante! twitterite incurable! tout ça… les maladies rares ?! orphelines ?! mon œil et le prépuce de mon œil ! ça court les rues ça ! c’est à mettre votre âme en congé maladie pour trois vies à venir! c’est à écrire en Braille sur les murs des toutes les maternités de France et de Navarre! de Moscou aussi! pour que les gosses qui tiennent à naître – ne pleurnichent plus après! une fois – prévenus…

                               Mais d’où il vient, cet homme? de Paris et de Dordogne. du Périgord. du pays de Léon Bloy et de François Augiéras.

                                           Mon ami, mon ami…les grands livres doivent être écrits pour les écrivains. afin de les rendre illisibles! pour que l’écrivain, en les lisant – oublie l’écriture. devienne lecteur. tout est là. tout… pour la première fois, votre humble scribouillard, en lisant le manuscrit d’un écrivain vivant – devient un simple lecteur. un déserteur de l’écriture qui retrouve ses terres! ses steppes… sa maison – la lecture. et enfin mange, affamé… ah oui! c’est un exploit d’Hercule, ça… faire sortir un écrivain de sa tête! de la littérature… et loin en plus…loin de la jalousie. loin des idoles grimaçantes! sans les oublier pour autant… revenant toujours vers son vomi comme des clébards dont Salomon le Sage observait le rut… car c’est le désir qui tient la boussole et la mort est son Nord.  

                     C’est un roman pour des écrivains. pour qu’ils arrêtent d’en être, ne serait-ce que pour un coup de cils! qu’ils arrêtent de lire leurs propres cils et retrouvent enfin la joie de dire « oh, que c’est bon! »

Retrouver la faim, la vraie faim devant le livre d’un autre, ça n’arrive pas tous les jours… par le temps qui court, d’une fast-foodette littéraire à l’autre… d’une gargote romanesque à l’autre! d’un roman-sandwich-salade-boisson à l’autre… mais, oh, grand mais, le vrai cuisinier ce n’est pas seulement celui qui nourrit, ah non, c’est aussi celui qui donne faim… c’est celui qui nous fait retrouver notre vraie faim-calle. et une fois retrouvée – nous, les affamés, on n’arrête pas de la bénir, notre fringale à nous, celle, la vraie, bien oubliée, qui est née avec notre première respiration dans ce monde… à défaut de ne plus savoir bénir notre pain d’aujourd’hui – bénissons la faim. et la vie qui la donne. car c’est la mort qui tient le bistro.

Ouvrir le cœur d’un écrivain – c’est un miracle… mais ouvrir le coeur d’un écrivain par l’écriture – c’est aussi facile qu’ouvrir un coffre-fort avec la langue!

           Mais qui est cet homme…Bernard Vedrénne, le voici.          

Il est vivant. il écrit. il vit pas loin de Paris…

La vraie vie est ailleurs? peut-être, bien. la vie…la vie… nous ne serons à jamais que ses voisins de palier. ah oui. c’est la mort qui tient l’immeuble…

Dimitri BORTNIKOV

En russe

Le Syndrome de Fritz (2002 – finaliste du Booker prize et du Prix national du best-seller)

Svinobourg (2003)

 

En français

Furioso / Aux Mains liées (2008)

Repas des morts (2011)

Face au Styx (2017 – élu Meilleur roman français de l’année)

 

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