Madame Bovary c’est l’immeuble
L’entreprise romanesque nécessite le même type de « croyance » que la physique des particules.
A savoir : que les phénomènes observés localement
ont valeur pour l’Univers en son entier.
Un univers clos et en soi
Quand il eut achevé son fameux-célèbre roman Gustave Flaubert s’écria (paraît-il) à propos de son personnage principal : – Madame Bovary c’est moi !
Ici Madame Bovary c’est l’immeuble.
L’immeuble en tant que personnage central d’un roman… c’est pas nouveau ! C’est déjà le cas de Pot-Bouille d’Émile Zola (1882) et de La Vie Mode d’Emploi de Georges Perec (1978). Dans les deux romans cet immeuble mental c’est l’immeuble haussmannien. Caractéristique du Paris du XIXe siècle dont les bâtiments et les larges boulevards sont le fruit de la volonté du saint-simonien Napoléon III et de son préfet Georges Eugène Haussmann. Ce n’est donc pas un hasard si l’illustration en coupe d’Edmond Texier de 1852 (bien connue des lycéens français pour avoir été largement reproduite dans les manuels scolaires) a servi pour la couverture pour les collections de poche des deux écrivains.
L’immeuble est un univers clos et en soi qui permet aux protagonistes du roman de se rencontrer : un village. Comparable au village d’ennui où Gustave Flaubert a placé Madame Bovary. Prison mentale dont elle s’échappe pour rejoindre des amants qui la laissent choir (après consommation). La Prisonnière pourrait d’ailleurs être le titre du roman de Gustave si ce n’était celui d’un volume de A la Recherche du temps perdu de Proust (Marcel). Où Albertine vit quasiment enfermée dans un appartement parisien (de type haussmannien !) sous surveillance étroite du narrateur.
Un laboratoire
L’immeuble est un laboratoire idéal pour observer le comportement humain.
En dictant cela à mon MacBook Air… je pense au roman Les affinités électives où Goethe utilise le modèle d’assemblage des éléments en chimie ! pour expliquer la sexualité de couples « échangistes » ! (intéressé ? se reporter au tableau périodique de Mendeleïev). Pour A bas ! La liberté je préfère me référer au Grand collisionneur de hadrons (accélérateur de particules situé au pays de Gex). L’entreprise romanesque nécessitant le même type de « croyance » que la physique des particules. A savoir : que les phénomènes observés localement ont valeur pour l’Univers entier. De même tout être humain porte en lui une part de l’Humanité entière.
Du point de vue des personnages l’immeuble fonctionne comme une souricière. Les appartements sont des cages. L’empilement des étages un zoo humain. Dans Pot-Bouille le personnage qui assure le lien entre les différents personnages n’est pas le concierge (gardien du Zoo) mais un certain Octave Mouret. Motif : pour assouvir son besoin d’exister (sexuellement et socialement) Octave part à la recherche de relations-cul dans tout le bâtiment. Application scrupuleuse de la publicité apposée sur les façades des constructions de cette époque : Gaz et électricité à tous les étages.
Haïs de tout l’immeuble parce qu’il « écrit des cochonneries sur les gens comme il faut » un habitant du deuxième retient l’attention (Profession = écrivain). On apprend du concierge – monsieur Gourd – qu’il a déjà puisé son inspiration dans les déboires de monsieur Duveyrier. Propriétaire de l’immeuble. Ce qui laisse supposer qu’il est en train d’écrire « en temps réel » les événements se déroulant dans le bouquin. On notera qu’il est le seul protagoniste dont on ignore le nom. Et pour cause : il s’appelle Zola. Prénom : Emile. C’est l’auteur !
Découmène pour accéder à la soupe mentale
Dans A bas ! la Liberté le personnage qui sert de fil directeur n’a pas de patronyme. Ce qui n’est pas un hasard ! dans un bouquin où les mots et noms font accéder à l’existence… et où le Monde n’existe que parce qu’il y a des mots pour le nommer. Ce n’est pas l’auteur pour autant. Incarné par Léontine G psychanalyste-hypnothérapeute. La seule ayant pu écrire le bouquin = à savoir la seule à connaître les petits secrets et l’inconscient (les rêves / l’inavouable) des Mouchottiens… Qui ont tous ! entrepris une analyse avec elle (c’était la mode en ce temps-là à Paris où se déroule le fameux Séminaire Lacan). L’auteur deus-ex-machina apparaît dans le Prologue et le Post-scriptum. Ainsi qu’à de rares moments pour interroger le fil directeur (favorisé par l’emploi du « tu » à la place du «je» et du «il» dans le récit) ou faire des interventions hors sol voire parfaitement débiles (demander à Madame Irma de lui prédire le sujet ou la fin de son livre).
Contrairement à Octave Mouret qui balance son sperme à tout vent (dont l’équivalent est le caméraman TV d’Antenne 2) le fil directeur d’A bas ! la Liberté « n’y arrive jamais ». Préfigurant l’avenir asexué… pour lui pas question d’affaires de sexe : s’il reste une trace de ce « passé animal » – fantôme indélébile – il n’est pas à rechercher dans ses aventures burlesques mais au plus profond de sa psyché.
A oui ! j’oubliais : j’ai habité l’immeuble Mouchotte…
Cependant A bas ! la Liberté est l’inverse d’une auto-fiction. Un acte de création pure : la « réalité » n’est pas le point de départ mais le point d’arrivée. De la même façon que le pays d’Alice au Pays des Merveilles est plus réel que l’Angleterre oxfordienne de Lewis Carroll / que le lapin blanc (aux yeux roses vêtus d’une redingote avec une montre à gousset s’écriant « Je suis en retard ! Je suis en retard » dans un pays où le temps a été aboli) est bien plus réel que les êtres de chair et d’os. Certes il y a pas mal de moi (et même de surmoi !) dans mon bouquin ! mais pas plus que dans Le Comte de Monte-Cristo où Alexandre Dumas a mis beaucoup de lui-même (son collaborateur Auguste Marquet aussi). Inutile de préciser qu’aucun des épisodes de la saga n’a eu lieu à Mouchotte : « il faut craindre l’homme d’un seul disque » où le Grand Roux et Cheezy cassent les oreilles en refusant qu’on écoute autre chose que leurs disques favoris. Pas plus qu’il n’y a eu dans l’immeuble de producteurs de films pornographiques ou de collectionneurs de petites culottes ! (à moins que…). Ou qu’il n’y avait (dans le village de ploucs charmant proche de Bergerac) où j’ai vécu de 9 à 17 ans de Madame Ansel qui élevait des petits cochons surnommés Marcel ou de Bertou qui aurait aperçu Ingrum bronzer sein nu au bord de sa piscine ! Pour la bonne raison qu’il n’y avait pas de piscine « ni d’étrangers » (traduction : de touristes) au bled à cette époque ! etc. Pour ceux que cela intéresse …
Pour ceux que cela n’intéresse pas … RETOUR AU MENU
Le personnage du roman dont je suis psychologiquement le plus proche est certainement André-Hercule. Ce pourquoi je me suis attaché (de façon romancée) à ce que les épisodes le concernant puisent dans quelques anecdotes de ma vie. Bien que je n’aie jamais eu de chagrin d’amour avec la fille de la concierge que j’aurais recherché désespérément à Barcelone ! Ni aucune cousine qui s’appelle Gabrielle avec laquelle j’aurais couché ! Entre autres…
Des Mouchottiens avant d’être des Parisiens…
Fini l’architecture haussmannienne ! Dans A bas ! la Liberté l’immeuble est une barre en forme de L / signée par l’architecte Jean Dubuisson (1914-2011). Située côté pair de la rue du Commandant René Mouchotte (75017 – Paris). Remarquable pour sa façade mur-rideau d’aluminium et de verre (avec ses tablettes à casier garde-corps anti-vertige) faisant penser aux tableaux de Piet Mondrian / et pour l’utilisation judicieuse de l’espace intérieur pour des appartements de petites surfaces.
« Le grand ensemble Mouchotte ou opération Maine-Montparnasse II, situé sur le côté ouest de la rue du Commandant-René-Mouchotte, consiste en une longue barre posée sur dalle, comptant 750 logements et 88 000 mètres carrés sur 18 niveaux, sans compter des étages de parkings. Il a été conçu par l’architecte Jean Dubuisson et construit entre 1959 et 1964 et livré en 1966. Il constitue, comme toute l’opération Maine-Montparnasse, un cas exemplaire de la pensée urbanistique et architecturale de la période de croissance démographique et économique des Trente glorieuses. Au-delà de l’opération urbanistique et architecturale, ce grand ensemble Paris intra-muros pouvant loger 2 000 à 2 500 personnes s’est également distingué par le profil de sa population. Il a attiré dès le début une population de jeunes cadres, de jeunes hauts fonctionnaires et intellectuels séduits par sa proximité avec le Quartier latin et les ministères.
Ce grand ensemble conçu dans les années 1950 est cependant arrivé à contre-courant des idées de son époque, étant habité à partir de la fin des années 1960 dans une ambiance pré puis post-68tarde. La mobilisation de ses habitants a été forte durant les événements de mai 1968 géographiquement voisins. Il aurait été surnommé « l’immeuble rouge » par le philosophe Jean-Paul Sartre. [« En mai 1968, quand les drapeaux fleurissent aux fenêtres des appartements, la façade, carte géopolitique, est le reflet des convictions de ses locataires » se souvient Pascal Perris – architecte et commissaire de la rétrospective Jean Dubuisson en 1998 à l’Institut français d’Architecture : « Toutes les fenêtres étaient dotées d’un drapeau rouge »].
Selon l’architecte Pierre Caillot et l’historien de l’architecture Gérard Monnier, ce grand ensemble est devenu dans les années 1970 « un bastion du militantisme culturel, social et politique. Ce militantisme s’est notamment exprimé à travers l’association des locataires, des services familiaux en autogestion (club d’enfants, ateliers), une fête annuelle de voisins sur la dalle en bas de l’immeuble, la lutte « écologique » contre le projet de radiale routière qui a finalement, après transformation, donné naissance à la coulée verte du Sud parisien, etc. La chapelle Saint-Bernard-de-Montparnasse intégrée dans l’opération architecturale et située quasiment sous l’immeuble Mouchotte, est également devenue un lieu de militantisme du quartier et le haut lieu de la » révolution des prostituées » de 1975 ».
Pierre Caillot et Gérard Monnier
Le village Mouchotte à Paris / in Habiter la Modernité.