Stylistique (illustration)

La littérature c’est l’art de la digression.
Beaux-dégâts

 

Sans digression une œuvre littéraire est un squelette !

Pour illustrer « l’art de la digression » je me contenterai de la genèse d’HISTOIRE DE LA TRAPPE DANS LASCENSEUR

LIRE AVANT→ HISTOIRE DE LA TRAPPE DANS L’ASCENSEUR

Sachant que ce qui est dit  ici s’applique aux 303 autres histoires.

GENESE → contrairement aux écrivains qui font des plans / s’entourent de documentations etc. je fais partie de ceux qui se « contentent » de mettre des mots les uns à la suite des autres. Sans préméditation. En tirant un fil le reste de la bobine se déroule sans efforts / instantanément. Créer suit les mêmes processus que les rêves prémonitoires. Dont on a l’impression qu’ils ont été dictés « d’en haut » / Prise directe via l’inconscient sur le ciboulot. Mon problème… ce n’est pas la page blanche (connais pas !).

C’est le trop-plein !

HISTOIRE DE LA TRAPPE → tout est parti d’un souvenir du temps où j’habitais immeuble Mouchotte : au fond de la cabine d’ascenseur il y avait une trappe à rabat. Qui aurait pu servir de garde-manger si la durée du voyage avait nécessité une telle installation. Ou de cache pour passager clandestin s’il y avait eu motif ! La trappe dans la cabine d’ascenseur restait un mystère. Jusqu’au jour où… j’ai demandé au concierge : à quoi ça sert?

Pas de quoi en faire un roman !

En écrivant le mot ascenseur arrive « naturellement » Jessica : « Tu te retrouves dans l’ascenseur avec Jessica ». S’ensuit illico : « Qui a lâché Médor et sent l’urine. Paraît que c’est fréquent les derniers mois de grossesse ».

Ne me demandez pas pourquoi ! ni de consulter le docteur Freud !

Inutile de préciser que « sentir l’urine » n’est pas le genre de problème qui me passionne habituellement! Que je n’ai jamais connu de Jessica ni qui que ce soit ! enceinte à Mouchotte. Et que lâcher Médor ne fait pas partie de mon vocabulaire habituel. Expression imagée qui motive une note lexicale en bas de page → [ Lexicographie – Expression populaire signifiant : lâcher un vent (littéraire) / un prout (enfantin) / un pet (vulgaire). Verbe : péter (trivial) ].

Prétexte à s’isoler dans cet espace réduit (pour ne pas subir le bavardage de Jessica) la NOTICE A LIRE AVANT DE PRENDRE LASCENSEUR est reproduite telle qu’elle figure bien en vue dans ce genre d’équipements. À la fois ready-made intertextuel et numéro de bravoure littéraire il n’est pas interdit d’apprécier son côté surréaliste et philosophie de l’absurde. Genre : « Si la cabine est pleine attendez le prochain ascenseur » → pas con ! Je ne me suis permis d’ajouter une pointe d’humour à ce texte rédigé magnifiquement et on ne peut plus sérieux : « Si vous souffrez de chaleur ou de claustrophobie enlevez vos vêtements »… en faisant cet ajout → inutile de vous déshabiller entièrement !

Le commentaire de Jessica à propos de la trappe servant à descendre les cercueils s’ouvre sur une large digression à propos de l’enterrement du Bertou (mort pour s’être enrhumé par les pieds à pêche au gardon). Sorte de mise en abyme de l’avenir anonyme et aseptisé qui se profile à l’horizon. Digression contenant elle-même une digression à propos de Bertran de Born (faisant l’objet d’une note sur le portrait qu’en fait Dante dans son Enfer) et du sapeur Camember.

Le colonel : – Je suis passé à l’entrée de la caserne quand vous étiez de garde et ne vous ai pas vu.
Camember : – Vous avez dû mal voir : j’y étais… mon colonel !
Le colonel : – Vous me prenez pour un con ou pour un imbécile ?
Le Sapeur Camember : – Les deux mon colonel !

Digressions occupant à elles seules la moitié du chapitre !

Qui se clôt par le suicide d’une voisine dans sa baignoire au son du Boléro de Ravel. Traduction = seule utilisatrice de la trappe depuis la construction de l’immeuble ! Sans le Boléro en boucle qui énervait les voisins… Maurine (elle s’appelait Maurine…) aurait pu pourrir des mois dans un bouillon infâme. On notera le ton poétique / en rupture avec ce qui précède :

Maurine la vie a besoin de toi
comme d’une respiration.

Une note en bas de page renvoie à un article du journal Sud-Ouest. Paru a posteriori il semble conférer au texte un statut d’écrit prémonitoire → [ PERIGUEUX 2019 : Rue André Saigne : un squelette a été retrouvé dans une baignoire. Celui de l’ancien locataire. Depuis 3 ans il ne payait plus le loyer. Un huissier est pourtant venu inspecter l’appartement… mais ne se serait pas approché de la baignoire. Errare humanum est. ]

J’oubliais : la présence de calligrammes comme ici la quille et le ventre déséquilibré de Jessica est à relier à La colombe poignardée et le jet d’eau de Guillaume Apollinaire que je trouve très réussi. Je trouve cela très gai dans un texte où les lettres sont parfaitement alignées rappelant la monotonie du défilement des platanes au bord d’une route désespérément droite.

Maillage des idées et du texte

Comme dans la plupart des romans à l’âge classique le récit se déroule chronologiquement (à peu près). Ce qui n’est pas le cas des thèmes et les digressions. Comparables aux taches de couleurs des tableaux impressionnistes = ils donnent le ton. Et sont repris tout au long des tomes 1 et 2. De façon obsessionnelle ! Parfois à l’identique : c’est le cas du message improbable et aseptisé laissé par Maurine : « Vous êtes faux » = qui renvoie directement à celui posté par Oskana Chatchko sur Instagram (TOME 2 – HISTOIRE DE VEUVES EN NOIR) : « you are fake ». Lorsque (comme dans la vie on a affaire à des bavardages ou des situations  » identiques « ) il se passe des choses ou des conversations identiques le texte les reprend en copie-collée). Exemple : consultations de C et K chez Madame Irma / voyante extra-lucide… qui prédit à chacune mot pour mot  » la même chose  » : Vous aurez des enfants sous prétexte de faire l’amour avec un homme !

Tous ces thèmes sont facilement repérables :

1- Mots / langue / et patronymes
2- Mœurs et société
3- Politique et Histoire
4- Sciences / techniques / et entreprise spatiale
5- Éros et Thanatos
6- Religion / philosophie / voyance
7- Arts plastiques / musique / et culture
8- Littérature
9- Art culinaire et alimentation
10- Rêve / psychanalyse / et expression de l’inconscient.

De Jessica enceinte découle logiquement le chapitre suivant (HISTOIRE DE KARLHEINZ– OLIVIER). A savoir l’accouchement dans l’eau avec la pompe qui tombe en panne au mauvais moment et la musique de Léonard (escalier M / 1er étage) faite pour être écoutée dans le bruit absolu (et non dans le silence comme la musique classique !). J’ai employé précédemment les mots « découle logiquement » par fourberie : accoucher étant en général l’aboutissement logique… d’être en cloque ! Genre d’automatisme lorsque notre cerveau est en pilotage automatique :

Enceinte pouf-pouf → bébé !

Logique / pilotage automatique → voilà les ennemis ! Ennemis de la littérature : inutile d’avouer que j’ai pensé laisser Jessica « dans cet état » jusqu’à la fin du bouquin. Le bébé se trouvant tellement bien dans son ventre… pépère il y serait resté… 43 ans ! Idée qui réapparaîtra… A travers Martine Chapautard qui traîne sa carcasse dotée d’un ventre énorme avec les bras et les jambes du bébé devenu adulte qui dépassent de chaque côté (HISTOIRE AVEC LIMPOSSIBLE MONSIEUR BEBE et HISTOIRE DE SOUILLAGAIS ET DE SOUILLAGAISES).

Si le principe de la littérature était la ligne droite : j’en serais resté à m’interroger sur le mystère de la trappe et au concierge qui aurait fourni la solution ! À chacun de juger si l’HISTOIRE DE LA TRAPPE DANS LASCENSEUR aurait gagné à être écrite de cette façon !

Sans digression une œuvre littéraire est un squelette !

CQFD !