Extrait

PREMIERE PARTIE : L’ABBAYE DE LOC DIEU

Les pratiques sexuelles sont banales,
et cette pauvreté est disproportionnée
à l’émerveillement du plaisir qu’elles procurent
.

Roland Barthes.

La forme la plus courante du bonheur
consiste à ignorer que l’on n’est pas heureux.

Jacques Serguine

 

Ill. Je l’appelle Nès à cause du Nescafé NES 100% fine mousse.

NE VOUS RENDEZ JAMAIS A UNE CURE DE SILENCE

Tout le monde a besoin de nourriture et de sommeil.
Les histoires sont une nécessité pas un luxe.

Björk

Ill. Le soulier couleur rose (Larrivaz)

– Tu sais pas où est passée ma chaussure rose ?
– Bé non… comment veux-tu que je le sache !

Que serait le monde sans mystère ? Les devinettes… si on connaissait d’avance les réponses ! Mais nous n’en sommes pas là. Le meilleur moyen de raconter une histoire est encore de commencer par le début sans se préoccuper de la fin :

UN DÎNER DE TÊTE

Invité l’an passé à un dîner de tête où l’on se rend avec conjoint…

Genre de réunion entre professionnels exerçant le même job ! où dès que l’on a épuisé le motif (à savoir échanger des tuyaux pour capter de nouvelles affaires et se lamenter sur le montant trop élevé des impôts sur le revenu) le reste de la conversation consiste à s’émoustiller en évoquant les histoires de cul… des absents ! Oublions le métier qui en fournit le motif. Il s’agit d’un de ces gagne-pain inutiles et coûteux ! pur produit d’une société devenue trop complexe. Job intellectuel ne nécessitant aucun matériel ni connaissances particulières : conseil en quelque chose.

Ce soir-là on accueillait une nouvelle recrue. Qui se pointa accompagnée de deux queues (c’est ainsi que l’on cause aujourd’hui à Paris lors des déjeuners entre copines). « Elle vit avec les deux ! » lâché par ma voisine de droite avait précédé ma question. Arrivés bons derniers « vous dis pas ! pour atteindre Porte maillot : une heure de bouchons » les trois repartent les premiers. Résidant en grande banlieue ils doivent libérer à minuit l’étudiante qui garde les marmots. Heure à laquelle il faut retrancher le temps de trajet. A Paris quand on est en retard il y a toujours un embouteillage imaginaire ou une place de stationnement introuvable à trouver / et quand on veut se tirer parce qu’on s’emmerde… il suffit d’évoquer quelque impératif indépendant de sa volonté.

Explications à la con qui n’en finissent pas ! faciles à résumer : rien à foutre !

Une fois barrés les convives se déchaînent : Occupent-ils son lit à tour de rôle ou baisent-ils ensemble à la queue leu leu ? En sandwich : l’un par-devant… l’autre par-derrière ! Pour l’entente cordiale les deux mecs s’enculent-ils à tour de rôle. Lequel est le père ? Ont-ils tiré à la courte-paille ? Songe-t-elle à en pondre un deuxième pour que chacun ait le sien ? La conclusion revient à *** : – Avec les deux sous-cons ça lui ferait quatre enfants à charge

Il n’y a pas de bonne conversation à Paris sans un peu de sexe et beaucoup de médisance (et inversement-réciproquement).

Pour comprendre le cocasse de la situation… il suffit de savoir que les effarouchés se connaissent bien. Sortent presque tous de l’Université Paris-Dauphine où ils ont fait côté cul… entre potes leurs classes. Quant aux nouveaux entrants (ou conjoints) ils ont eu droit à des cours de rattrapage… suite à ces soirées où l’on s’échange les numéros de téléphones portables sous prétexte de fournir un renseignement ou par artifice. Les motifs de ces adultères (mot vieilli tombé en désuétude) étant moins la passion que de créer une diversion. Sorte d’appel d’air pour tromper le train-train de la vie confinée en couple. Sans parler de l’usure qui en résulte.

Antagonistes avec l’amour et le sexe qui sont des fantaisies.

Parmi les attablés la plupart savaient qui-s’était-accouplé-avec-qui. D’autres faisaient semblant de ne pas savoir. La plupart ne s’en souciaient guère ou avaient oublié. Les mœurs que l’on pratique deviennent la norme. A l’inverse ceux qui opèrent différemment semblent être les auteurs d’une transgression intolérable. J’ai connu une femme mariée qui faisait la nouba. Variant les partenaires. Du jour où elle eut son premier marmot elle se replia sur son couple et devint plus fidèle que Pénélope. Insultant ses copines qui sur ses injonctions refusaient de devenir puritaines. Ayant cessé tout contact… fussent-ils téléphoniques avec ses anciens coéquipiers : and now is closed !

« Quel toupet ! » (cri de guerre poussé mentalement à l’arrivée du trio bras dessus bras dessous au dîner) traduit assez bien le sentiment unanime face à cette violation de la bienséance coutumière.

Lorsqu’une personne coupe la file à la caisse du supermarché pour se retrouver en première position on lui envoie un blâme et secrètement on l’envie. Rien de tel ici personne n’aurait idée de vivre ou de s’afficher avec mari et amant (mot obsolète) ! Pour la bonne raison que la clandestinité est l’intérêt et le poil à gratter de la chose. Faute de quoi il n’y aurait aucune différence avec la vie conjugale.

Et la corvée sexuelle qui lui est associée.

MES CHERS COMPATRIOTES CONS

Il est temps que je me présente : je ne suis pas convié à ce dîner à titre professionnel. Je fais partie de l’escorte…

J’accompagne Nès je l’appelle Nès à cause de la boîte métallique ronde de Nescafé Nès 100% fine mousse qu’elle lape consciencieusement au petit déjeuner – moi je suis plutôt chicorée / son vrai nom est Hélène nnnnnnnnnn.

J’accompagne Nès… dont la spécificité est :
1- De présider l’association regroupant les pros du Conseil (organisation des dîners de tête / week-end de baise travail / séminaire annuel).
2- De m’offrir le gîte et le couvert = condition sine qua non quand on est écrivain et qu’on se doit d’avoir pour devise : travailler c’est bon pour les gens qui n’ont rien à faire (de mieux !).
3- D’avoir baisé avec la quasi-totalité des membres du Club et une bonne partie de leurs épouses (en période de solde).

Ce qui me permet de bénéficier d’un ensemble de conseils pratiques. Pour être précis… du mode d’emploi exhaustif de ma copine : tu lui fais ça et ça.

Et après… elle devient folle !

N’ayant pas grand-chose à dire au cours des échanges business entre pros et encore moins à écouter ! je me contente de dévisager les convives. Les imaginant en train de passer leur queue dans la bouche de Nès… Se frayant un passage entre ses cuisses. Usant du même mode opératoire dans la cavité située au milieu de son derrière. A genoux devant le pékin assis à sa droite dont le péché mignon est la cravate de notaire : – Quoi ! tu… (avec XXXXX on se tutoie : quelque part il m’envie il aurait aimé comme moi être écrivain… il a fini dans le conseil !) tu n’as jamais entendu parler de la cravate de notaire… – Bé non. T’as appris ça où ? – A l’université de Dauphine. Heureusement que je suis là pour t’expliquer : elle adore.

Selon le mec en train de déguster un caneton Long Island rôti à la bigarade accompagné de pommes gaufrettes : sa position préférée est d’être prise en levrette. Ne voyant pas la tête de celui qui s’affaire… reliée à lui par les coups de boutoir elle peut dévider son crachoir [Salaud !] [Fumier !] [Charogne !] [Enculé de ta mère !] [Pauvre-pauvre con !] [Ordure !].
Vous avez l’air d’en connaître un rayon.
– Aucun mérite : j’ai appris « ça » à l’université de Dauphine !

Coûte rien d’essayer… exact ! Ma curiosité ne fut pas récompensée à hauteur de ce que j’attendais : lorsque je lui demandais pourquoi elle ne me disait pas toutes ces choses qui avaient l’air de lui tenir à cœur bien en face ! Elle se contenta de répondre que cela ne concerne jamais celui en train de lui défoncer le derrière. Qu’elle adresse ses déclamations à des modèles universels ou quelques démons intérieurs avec lesquels elle règle ses comptes à travers sa libido.

Docteur Freud n’aurait pas mieux parlé confronté à tant de compétences… difficile de ne pas être admiratif.

Ce n’est pas que je sois d’un naturel jaloux… Et puis zut ! autant dire la vérité : je suis d’un naturel jaloux. Disons que je me suis habitué. D’autant qu’elle avait des arguments. D’une logique imparable : – Ça ne compte pas ! mon gros Roudoudou : ce n’est que professionnel !

Présenté comme une façon d’élargir ses relations ou de se-dire-bonjour* en effet ! ce n’est pas à placer « sur le même plan. » Même si cela consiste à pratiquer les mêmes activités dans les mêmes orifices. En prononçant les mêmes paroles : – Encore ! Encore ! Encore !

Logique…

Ill. Restez chez vous ! bande de…

Tout ceci ne vaudrait sans doute pas la peine d’être rapporté sans ce lundi 16 mars 2020… et l’annonce par le Président de la République du Confinement (traduction : couvre-feu 24 heures sur 24) de tous les Français pour cause de pandémie mondiale de Coronavirus. Qui dura 55 jours :

« Mes chers compatriotes,
Le gouvernement a pris des dispositions fermes pour freiner la propagation du virus. Les crèches, les écoles, les collèges, les lycées, les universités sont fermés depuis ce jour. Les restaurants, tous les commerçants non essentiels à la vie de la nation ont également clôt leurs portes…

Un seul mot d’ordre : restez chez vous ! Bande de connards. C’est moi qui vous le dit !

Vive La République ! Vive Moi-moi ! Vive ma sœur Marie-France… Non c’est pas ça ! Je voulais dire : Vive la France !

Et tagada soin soin :

Ill. Tagada soin soin (hymne national).

Tout cela ne vaudrait sans doute pas d’être rapporté si… cette date fatidique n’avait correspondu au séminaire annuel de l’association des pros du Conseil dont Nès est présidente. Dans une abbaye située dans le Lot.

Qu’est-ce qu’on fait ? On annule ?

Nès a une meilleure idée (Nès a toujours de meilleures idées = sa meilleure ayant été de m’adopter en tant qu’animal de compagnie en remplacement de son chien qu’il fallait amener deux fois par jour pisser le long des trottoirs + attendre qu’il veuille bien faire sa crotte / et dont elle s’est débarrassée en le refilant un de ses ex en manque dont la compagne l’avait quitté) : ceux que rien ne retient à Paris se pointent comme pour les dîners avec conjoints. Pourquoi pas au choix ? – Toi commence pas… à m’embrouiller. « Trop compliqué ! » a répondu Nès à *** qui refusait de se confiner avec sa régulière. Inutile de préciser : Nès a horreur des situations complexes.

Les autres (ayant charge d’enfants / plans cul / fleurs à arroser etc.) sont dispensés.

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