Extraits

   © ®

Extrait de A Bas ! la Liberté

Tome 1 → Le Genre humain (human hope)
Première époque :
NOS INSTINCTS SE PORTENT BIEN (1974 – 1981)

 

Connaissez-vous un plus grand malheur pour un animal
qu’être un homme

HISTOIRE DE LA TRAPPE
DANS L’ASCENSEUR

144. le troisième passager

Tu te retrouves dans l’ascenseur avec Jessica qui a lâché Médor et sent l’urine. Paraît que c’est fréquent les derniers mois de grossesse. Enceinte jusqu’aux narines… Jessica ressemble à une sorte de quille déséquilibrée prête à culbuter :

Pouah ! Une odeur d’asperge et de ragoût envahit l’habitacle. Pas sorcier d’identifier ce relent d’asperges et de rat crevé que tu connais trop bien pour avoir aidé le Bertou à vider la fosse des W.C. qui n’arrêtait pas de s’obstruer : – Si tu veux mon avis… tes parents font trop caca. Enfermé dans ce réduit de 120 centimètres sur 140 qui dévale les étages (dont les dimensions avoisinent celles du puisard récuré en compagnie du Bertou) te voilà pris au piège. Appuyer sur la touche arrêt d’urgence ne ferait que prolonger ton martyr. Histoire de créer une diversion tu la complimentes sur la rotondité de son abdomen et de ses seins à faire péter les boutons de son chemisier ! Qui serviront bientôt de boîte à lait à marmot. C’est marrant les métamorphoses que peut subir un corps.

La peau s’allonger comme un élastique.

Tu te réfugies au fond de la cabine. De peur qu’elle te propose de mettre la main sur son ventre pour sentir bouger le bébé. C’est la mode à Paris (où tout le monde a lu J’attends un enfant de Laurence Pernoud). Recommandé aussi (pour faire comprendre à bébé qu’il sera bien accueilli) : causer à travers la membrane dermique. Ne pas oublier (non plus) : lui faire entendre de la zizique. Jessica c’est le genre de fille qui veut bien faire. Qui prend conseil pour n’importe quoi auprès de n’importe qui : – T’as une idée toi ! de ce que je pourrais lui faire écouter ? à bébé… Sais pas moi : essaye les Suites-de-Jean-Sébastien-Bach-pour- violoncelle-seul-par-Pau-Casals-enregistrées-en-l’abbaye-Saint-Michel-de-Cuxa… Bonne idée : ça va le changer de Song from a room de Léonard Cohen et de  Never Mind The Bollocks des Sex Pistols … Ça te ferait plaisir de mettre ta main sur mon ventre pour le sentir bouger. – Oui-non… – Oô le salaud ! il m’a donné un coup de pied. Tu vois il te connaît déjà. Parle-lui. – Qu’est-ce que tu veux que je lui dise… – Quelque chose de gentil. – Gentil bééé-bééééééééééé… – Bébé c’est notre voisin du dessus qui te cause… Afin d’éviter qu’elle te tarabuste tu fais semblant d’être absorbé par la lecture de la notice de sécurité :


LIRE ATTENTIVEMENT AVANT
DE PRENDRE LASCENSEUR

L’ascenseur est le moyen de transport le plus utilisé et le plus sûr au monde. Suivez ces instructions pour éviter les incidents toujours possibles et garantir le confort et la sécurité de chacun :

CE QU’IL FAUT FAIRE QUAND VOUS ENTREZ DANS L’ASCENSEUR

→  Si la cabine est pleine attendez le prochain ascenseur.
→  Pendant le trajet et l’arrêt tenez-vous à l’écart des portes coulissantes.
→  Les enfants et les animaux doivent toujours être accompagnés et tenus par la main ou en laisse.
→   Attention à la marche en entrant ou en sortant : il se peut que la cabine ne soit pas parfaitement alignée avec le sol.
→  Si vous remarquez quelque chose d’anormal ou un bruit inhabituel informez la société de maintenance.

CE QU’IL NE FAUT PAS FAIRE QUAND VOUS VOYAGEZ DANS L’ASCENSEUR

→  En cas d’incendie veuillez ne pas utiliser l’ascenseur.
 Ne placez pas des objets ou des parties du corps pour maintenir l’ouverture : appuyez de nouveau sur le bouton d’appel.
→  Ne dépassez pas la capacité et le poids maximum autorisé.
→  Si vous êtes coincé entre deux étages n’essayez pas de sortir tout seul. Appuyez sur le bouton d’alarme et attendez. Évitez de vous interroger. De vous dire que vous n’auriez jamais dû entrer dans cet ascenseur. Si vous souffrez de chaleur ou de claustrophobie enlevez vos vêtements. Inutile de vous déshabiller entièrement. Une seule règle : patientez.

Jessica tente une nouvelle approche. Tu te carres contre la paroi ce qui a pour effet de faire basculer la trappe. À quoi peut-elle servir ? Tu pousses le rabat avec le pied. Il n’offre aucune résistance. Tu examines ce réduit assez grand pour offrir un terrain de jeux aux enfants qui voudraient se cacher. – À quoi ça sert ? – À descendre les cercueils. Jessica : – Ça arrive rarement. De nos jours tout le monde crève à l’hôpital ou en maison de retraite. Seul ! Mis au rebus. Avant d’être envoyé à la décharge → grand crématorium du Père-Lachaise = évacuation directe ! Difficile à comprendre quand on vient d’un bled où l’on expose les morts. Où on leur rend visite comme s’ils étaient encore à 37° centigrades. Où le village accompagne au cimetière les macchabées. Avec passage obligé par l’église. Les mécréants et les francs-maçons faisant le pied de grue à l’extérieur ou commémorant au bistrot à grands coups de pastis en attendant qu’on leur restitue leur pote (la République qui pour concurrencer le mariage religieux a imaginé une cérémonie civile a omis de faire de même pour les enterrements). Temps que le prêtre se pointe (avec à son derrière les enfants de chœur qui se chicanent en s’aspergeant d’eau bénite) les villageois se bousculent pour bénir le cercueil. D’un geste assuré pour les habitués. Tremblant pour les émotifs et les néophytes. En ôtant leur béret sans bénir pour ceux que la religion révulse jusqu’à en refuser les symboles ultimes. À la suite de quoi la famille du mort offrira une collation bien arrosée. À l’enterrement du Bertou tout le monde était pompette et faisait des blagues sur la façon de s’enrhumer par les pieds. Ses copains de pêche au gardon ont tellement ri que l’un d’entre eux s’est décroché la mâchoire. 

La mort du Bertou qui avait fait une pneumonie suite à une après-midi à pêcher sous la pluie… ça t’a fait de la peine. Tu l’aimais bien le Bertou. Enfant il te parlait comme si t’étais une grande personne. Avec des mots rescapés du patois : – Quo vai ? (ça va ? / prononcer : ko vaye ?) Lou Bertou. – Quo vai pas fort. Accompagnant son couci-couça de vœux concernant le registre d’état civil du village : – E l’an que ven… se sèm pas mai… siauem pas mai (et l’an prochain… si nous ne sommes pas davantage… que nous ne soyons pas moins). Il n’était pas aussi sot que le prétendaient ses copains poivrots qui l’étaient encore plus… Poivrots ou sot ? Les deux mon colonel ! « Les deux mon colonel » c’était une histoire du Sapeur Camember rapportée du service militaire. Une histoire qu’il avait mille fois racontée → de garde le Sapeur Camember avait déserté pour boire un coup. Convoqué par le colonel : – Je suis passé à l’entrée de la caserne quand vous étiez de garde et ne vous ai pas vu. – Vous avez dû mal voir : j’y étais… mon colonel ! – Vous me prenez pour un con ou pour un imbécile?

Le Sapeur Camember : – Les deux mon colonel !

Originaire de Salagnac Le Bertou était descendu au sud à la recherche d’un travail agricole (en Périgord quand on habite Périgueux au nord du département on dit : descendre à Bergerac ! Quand on habite Bergerac au sud : monter à Périgueux !). Salagnac ! il y avait bien quelque famille mais n’y était jamais retourné : pour quoi faire ? Pour lui monter à Salagnac c’était l’équivalent d’escalader le Mont-Blanc : se fatiguer pour un truc qui sert à rien ! Malgré cela des larmes coulaient de ses yeux quand il en parlait. Justement parce qu’il n’y avait jamais refoutu les pieds. Sans quoi Salagnac… Pétaouchnock ou le trou du cul du monde nulle part c’était kif-kif. Bien que le Bertou n’eût jamais dit : Pétaouchnock… mais Trifouillys-les-Oies. C’est comme ça qu’on s’exprime en Périgord parce qu’il y a des oies et des trifouillys (surtout). Rien à voir avec Tatanouille-les-Bains ou au diable vauvert. Expression tout idiomatique. Mais ça c’est une autre histoire qui nous amènerait trop loin. Salagnac = code postal 24160 il connaissait par cœur ! c’était surtout « où était né Bertran de Born ». Seigneur et troubadour qui autrefois par ruse et par félonie pressa un fils à prendre les armes contre son père qui était roi d’Angleterre alors qu’il venait de l’associer à la couronne… → né à Salagnac comme Bertran de Born ! il n’en était pas peu fier. « Né comme MOI ! à Salagnac » c’était son titre de noblesse. Ce qui le rattachait à l’Histoire de France ! la Grande (avec un H majuscule). – Le Bertout arrête… tu me l’as racontée cent fois. Tu réalises à présent combien c’était cruel. Combien c’était important pour lui que Bertran de Born fut né à Salagnac ! tant il avait besoin lui ! sorti du néant d’accéder une forme d’existence.

L’enterrement trop arrosé du Bertou… Le sapeur Camember… « Monter » à Salagnac… Bertran de Born : une fois de plus tu mesures la distance entre ton bled de ploucs et Paris. Entre les mœurs qui s’enracinent.

Et l’avenir anonyme et aseptisé.

145. Maurine la vie a besoin de toi
comme d’une respiration

Tu te renseignes auprès du gardien de l’immeuble pour élucider le mystère de la trappe déverrouillée. A-t-elle déjà servi ? Une fois → une jeune femme est morte.

Elle s’est suicidée dans sa baignoire. À la façon des anciens Romains : en s’ouvrant les veines avec un rasoir. Ajoutant à son geste une touche contemporaine : après avoir absorbé des barbituriques. Avant de plonger dans le sommeil éternel elle a programmé en boucle sur sa chaîne stéréo B.O. high-tech le Boléro de Ravel. On l’a trouvée au son du Boléro de Ravel. Le Boléro qui embistrouillait les voisins les a fait s’inquiéter. Sans quoi elle aurait pu pourrir des mois. Se décomposer dans l’eau du bain jusqu’à ce qu’on ne retrouve que les os dans un bouillon infâme. Anonyme elle était venue à Paris pour le travail. Personne n’est au courant du drame qui s’est joué. Elle ne connaissait personne. Personne ne la connaissait. Personne pour dire à Maurine (entrée M / 8e étage gauche)… Pour la rassurer :

Maurine la vie a besoin de toi comme d’une respiration.

146. Vous êtes faux

Adressé au néant (à moins que ce soit à la race des Hommes) et sans signature Maurine a laissé sur la table un message. Anonyme et aseptisé : vous êtes faux.

Le gardien te remercie : il avait oublié de verrouiller la trappe.

… /..

(les notes figurant en bas de page qui  font partie du texte – ne sont pas reproduites ici)